Par Laurent Grisel, écrivain
Un appel au peuple pour la constitution d’une nouvelle république est nécessaire aujourd’hui, et de façon urgente, car nous ne sommes plus tout à fait en république. En tout cas, plus dans une démocratie parlementaire. Depuis le 1er janvier 2014 le budget de la Nation est défini dans les bornes fixées par l’Union européenne et validé non par les représentants du peuple mais par les représentants techniques, idéologiques et institutionnels de l’oligarchie financière à la Commission européenne.
Cet état de fait est le couronnement et la traduction, dans le régime politique, de la prise du pouvoir de la finance sur tous les aspects de nos vies.
Sans même parler des institutions, en France comme dans de très nombreux pays nous ne sommes plus en démocratie : nous avons des gouvernements de presque riches pour les riches, nous sommes en ploutocratie.
La question est donc posée et c’est le peuple qui doit y répondre : par quel régime remplacer la défunte république parlementaire ?
C’est urgent : la dictature s’avance déjà
La dictature est le premier régime politique nécessaire à la finance
La dictature est le régime politique naturel de la finance - à vrai dire comme de n’importe quelle classe livrée à elle-même et sans rivale. On a vu les Chicago boys de Friedman déposer, le 11 septembre 1971, la « bible » de l’ultra-libéralisation sur le bureau du général Pinochet – et ce dernier la mettre en œuvre, en imposer, encore, des éléments-clés dans ses négociations avec la social-démocratie pour la « transition démocratique ». En Grèce, pays occupé par la Troïka (FMI, BM, BCE), un commissaire, dans chaque bureau des ministères, vérifie la conformité des décisions et des actions au plan de destruction de la société grecque imposé par les créanciers odieux.
On observe cela aujourd’hui sur tous les continents, et toujours selon les mêmes schémas.
Mais ces dictatures sont nécessaires à la finance seulement de façon transitoire : c’est le moment de la prise de pouvoir, et elle est exercée en puisant, pour chaque pays, dans ses traditions les plus autoritaires – aucun pays n’en manque, même dans ses institutions démocratiques, il est toujours possible de puiser dans ce qui relève de l’ordre, de l’autorité, de l’absence de délibérations – et c’est ce versant – article 49-3, etc. – qui était analysé par François Mitterrand, en 1964, sous le nom de « coup d’État permanent ».
L’exercice de ces pouvoirs est nécessaire le temps de la prise en main, le temps de détruire l’ordre ancien – oui, c’est de vous qu’il s’agit, pharmaciens, cheminots, etc. - le temps de détruire tout ce qu’il y a de collectif dans la société… Même une survivance de l’ancien régime comme le notariat est aujourd’hui prise pour cible.
Mais par-dessus tout, son rêve est un régime féodal rénové, performant
Mais après, quoi d’autre ? Eh bien, la féodalité. Mais attention, pas celle du XIIe siècle, la belle et noble de la révolution du moyen-âge qui couvrit la France de moulins et d’églises, qui inventa l’université, l’horloge, etc. – non, une féodalité neuve, nouvelle, moderne, une qui reprenne et amplifie, industrialise ce que la féodalité fit de pire : l’appropriation des terres et de tous les moyens de subsistance, la possession des humains sur un territoire donné, la transmission de tout le pouvoir au sein de familles régnantes, et ainsi de suite – une féodalité qui s’annonce bête, féroce, brutale, sans code d’honneur ni amour courtois.
Le rêve ultime de la finance, déjà mis en œuvre dans des enclaves, pays, entreprises, et existant déjà sous forme de rêves imposés par des utopies sinistres, dans des jeux vidéos, des films, c’est la féodalité : une possession privée de la terre – le premier des moyens de production, avec son sous-sol, ses eaux souterraines, même les fossiles, intouchées depuis des millions d’années : ce que le dictateur Kadhafi fit en petit – des champs de culture circulaires en plein désert sur des milliers d’hectares qui épuiseront en quelques dizaines d’années les réserves d’eau fossile – nos banquiers le feront faire en grand, dans tous les domaines de la vie terrestre, minérale, animale et végétale, océans compris – et en remontant toute la « chaîne de la valeur », « du berceau à la tombe ».
C’est ainsi qu’on voit revenir, à l’échelle planétaire, une des plus vieilles tactiques de l’extorsion de fonds et de la manipulation des prix au profit de qui possède le nécessaire à la vie et le vend aux plus nécessiteux : l’accaparement des terres, documenté et dénoncé, notamment par l’association Grain.
C’est le nouveau moyen-âge qui s’avance quand, dans notre pays, des bulldozers, sur lesquels les soldats du désordre sont juchés comme sur un char d’assaut, saccagent un paysage de centaines d’années. Quand un Conseil général fait détruire la forêt et l’humus d’une zone humide sans tenir compte d’aucun des avis des instances consultatives, scientifiques, instituées par la république, celle-ci donc annulée, sans attendre aucun jugement sur le fond, la justice niée, et lorsqu’il s’allie avec une préfecture qui envoie les forces de l’ordre, du désordre, saccager maison, caravane, campement, et insulter et frapper pendant des mois jusqu’à, une nuit, tuer.
C’est possible : tout le monde le sait, tout le monde s’y met
Tout le monde le sait
Que nous soyons dans ce changement de régime, d’une dictature qui ne peut plus dissimuler son visage et avance chaque jour, tout le monde le sait. Et c’est un phénomène de fond, massif, qui rend possible un nouveau processus constituant.
Il le sait, l’ouvrier dont l’usine est rachetée par un groupe financier qui vide la trésorerie, déménage les machines, précarise les emplois restants grâce à l’ANI, etc.
Le paysan dont les produits sont achetés à prix dérisoire par une centrale d’achat surpuissante, forte de ses marges arrières, de ses paradis fiscaux, de sa trésorerie gérée à la vitesse de la lumière.
L’employé de mairie confronté aux pratiques crétines et criminelles de « la gestion comme dans les entreprises ».
L’infirmière et le médecin qui ne voient plus des patients mais des dossiers et des lits.
L’ingénieur, le dessinateur qui sait qu’il calcule des projets surdimensionnés pour raison de ponction financière au pourcentage.
L’artiste qui ne doit pas déranger ni rechercher et donner en partage la beauté, mais distraire.
Le scientifique qu’au nom de l’efficacité on fait crouler sous la bureaucratie des procédures de concurrence et de notation ignorante et sous l’arbitraire des choix d’excellence dont le pourcentage est déterminé par les restrictions budgétaires.
Les innombrables cadres qui se réfugient dans le travail vide, ou fuient.
Que le salariat ait gagné la plus grande part de la population donne au moins ce résultat : une majorité est confrontée au système de domination promu par le FMI, la Banque mondiale et autres autorités « indépendantes » des sociétés.
Que tout le monde le sache rend possible le processus constituant
Notre campagne pour une nouvelle république doit être de prise de conscience de ce moment historique.
Elle a donc vocation à être majoritaire.
De nombreux éléments de notre future Constitution et du droit réinventé qui en découlera existent déjà, sont inventés, discutés, en débat dans de nombreux lieux.
Par exemple tout le travail en cours sur les communs et la non-propriété ; la grande diversité, et qui s’accroît, des formes de socialisation des moyens de production et d’échange ; la notion d’inaliénabilité de la terre et des autres richesses naturelles ; les travaux sur les limites à ne pas dépasser dans l’exploitation des ressources et la « règle verte » ; etc. Une Constitution nouvelle doit donner un cadre à ces inventions.
Mais comment ? Et selon quels principes communs ? Toutes ces recherches et expérimentations doivent, un moment trouver un langage et un cadre commun. Et c’est maintenant que ces discussions ont lieu, doivent avoir lieu de façon non isolée, entre innovateurs, mais en rapport avec tous les mouvements d’émancipation de la violence du capital privé. C’est le sens d’un mouvement pour une sixième République : offrir un espace commun pour que se confrontent, se combinent tous ces efforts et pour qu’ils jouent ensemble.
Désarmer la finance, socialiser les moyens de production et d’échange, rétablir les droits de l’homme, de la nature
Ce processus en cours porte en lui une nouvelle hiérarchie du droit et des droits
Nous savons qu’on ne donnera pas sa liberté et son essor à ce nouveau monde – aujourd’hui bouillonnant et minoritaire dans les pratiques et l’économie, mais déjà plus si minoritaire dans les esprits, en train de les conquérir – tant que la finance règnera sans partage.
Une Constitution établit un droit commun, établit une hiérarchie des droits, elle doit inclure tous les droits, et surtout ne pas ignorer les pouvoirs qui la dévoieraient, l’étoufferaient, la détruiraient. Aujourd’hui, une Constitution ne peut ignorer la finance ni les processus (héritages, taux d’intérêt) qui recréent sans cesse de nouvelles aristocraties.
En ce sens, la lutte en cours dans le monde pour obtenir l’arrêt des négociations sur le traité transatlantique (TAFTA), pour l’abrogation des traités de libre-échange, fait déjà partie du mouvement constituant – à chaque fois qu’elle est comprise dans la réflexion collective pour un nouveau régime politique.
De même les travaux du Collectif citoyen pour un audit de la dette publique, préfiguration d’un contrôle des finances publiques exercé, à large échelle, par les citoyens.
De même la « Constitution pour l’économie » esquissée par réflexion collective sur le blogue de Paul Jorion, qui inclut l’interdiction de la spéculation (« interdire les paris sur les fluctuations de prix »).
De même les travailleurs qui ont des projets alternatifs dans leurs cartons, sans droit des marques, sans pillage des ressources, et qui veulent faire vivre, ainsi, non seulement l’actuel droit du travail, fruit de deux siècles de lutte, mais aussi, dans le futur, pour tous les collectifs de production, le droit de la diriger.
De même les travaux sur les droits de la nature dans toutes sortes de sociétés qu’on osait appeler « primitives » - et sur la nature comme sujet de droit aujourd’hui.
De même les organisations qui luttent pour l’existence et la dignité des étrangers que la loi ostracise sur notre sol ; leur action préfigure un principe d’hospitalité qui ferait écho à l’article 4 de la constitution de 1793 : « Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis ; - Tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année - Y vit de son travail - Ou acquiert une propriété - Ou épouse une Française - Ou adopte un enfant - Ou nourrit un vieillard ; - Tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l’humanité - Est admis à l’exercice des Droits de citoyen français. »
Et ainsi de suite.
Le but : désarmer la finance, socialiser les moyens de production et d’échange pour que le droit rejoigne le fait, car aujourd’hui ces moyens, par leurs interconnexions, par les incessantes concertation, ententes, coopérations, réseaux qui les font vivre sont, de fait, socialisés, n’existent que par fait de société – ce sont leurs profits et leurs structures de pouvoir qui sont privatisés. Et, grâce au pouvoir et aux libertés ainsi reconquis, rétablir les droits de l’homme et de la nature, non pas comme slogans publicitaires ou politiques, mais dans les faits.
Non seulement en France mais dans tous les pays
Tout ce qui vient d’être écrit ici aurait pu l’être par des milliers d’autres, non seulement en France mais dans des dizaines d’autres pays. Probablement est déjà écrit, sous une forme ou une autre, partiellement ou entièrement et mieux et en plus long, en d’autres langues…
Ainsi, par exemple, les peuples du monde entier se révoltent contre les accords de libre-échange et la toute puissance des multinationales – les instances arbitrales violent toutes les souverainetés populaires, dans le monde entier. De sorte que ce qu’on peut décrire comme « processus constituant » n’est pas propre à notre pays mais en cours, en progrès dans de nombreux pays.
Nous devons donc partager ce que nous faisons, prendre connaissance de que font les autres. Ce que nous écrivons doit être traduit, ce qu’ils écrivent doit être porté à notre connaissance.
Ce qu’écrivent les Péruviens, les Brésiliens, les Allemands, les Grecs, les États-uniens, les Burkinabés… doit être traduit, publié, débattu, repris, copié, adapté. Il est souhaitable, il est possible, de mettre en place, dès maintenant, un bureau coopératif des traductions.
Il faut aller vers une Internationale des constitutions démocratiques.
Je demande l’élection d’une assemblée constituante qui fonde avec les citoyens la 6e République. Une République débarrassée de la monarchie présidentielle et fondant les nouveaux droits personnels, écologiques et sociaux dont notre pays a besoin.
Je recevrai par mail les informations sur le Mouvement pour la 6e République.
[emailpetition id= »1″]
.Un grand merci pour cette contribution participative internationaliste !
.De belles idées, mon cher Laurent, et j’ai depuis longtemps signé la pétition. Entièrement d’accord avec toi pour un bureau des traductions. À condition que tes ouvrages, les miens et ceux de nos semblables ne soient pas victimes de l’indifférence mortifère (j’allais dire imbécile mais cela revient au même) de notre gauche de la gauche, qui a ses idées bien ancrées et se fiche bien des autres. Parviens-tu à te faire entendre dans ton milieu ? Guère plus que moi je suppose. Nous ne ménageons pourtant pas notre peine.
Maintenant, venons-en à la Sixième République, à l’internationalisme et à la démocratie réelle.
Comment passer de la dictature actuelle de la finance au régime enfin humain que l’on souhaite sans trop le définir ? La révolution citoyenne prônée par Mélenchon me semble une impasse : sur le plan de la morale, de l’empathie, de la droiture et de la conscience, l’humanité dans son ensemble est à ce point dégradée que je ne vois pas de quelle manière elle pourrait dépasser ses querelles de clocher pour se fondre dans un ensemble d’une telle vastitude que la sixième république, la démocratie, en un mot la civilisation du partage s’imposeraient d’elles-mêmes.
Le passage s’effectuera donc par la force, lorsque les gens en auront assez de s’épuiser en vain. Autrement dit par un coup d’état populaire. Ainsi, à la pseudo démocratie sous laquelle nous vivons se substituera momentanément une nouvelle dictature — attention : pas une dictature de classe, comme il en fut en Union soviétique, avec le résultat qu’on sait, mais une dictature des peuples, autrement dit une dictature de l’humanité, son objectif étant l’éradication de toutes formes de pollution, à commencer par celle, mentale, à laquelle je faisais allusion.
Donc, durant vingt ou trente ans (soit le temps d’une génération), instituer par tirage au sort un gouvernement de citoyens n’ayant en vue que le bien général, et entreprendre, à partir de l’école maternelle, et jusqu’à l’entrée dans la vie adulte, un enseignement qui permettra la clarté de vue, qui fera peu à peu passer de la conscience individuelle à la conscience universelle, et qui substituera à la sélection naturelle, animale (le plus roué triomphe) une civilisation digne de l’Homme. Pendant ce temps, il s’agira de clore le bec des gorets de la finance et autres cousins du singe. À moins qu’on ne parvienne à leur faire entendre raison.
L’actuelle situation du monde, l’hésitation entre le repli sur soi et l’élan vers une destinée que nous voyons encore mal, ne fait que refléter notre passage de l’adolescence à la maturité, passage que chacun de nous a vécu avec plus ou moins de bonheur et de souffrance, et qui bien souvent frôla la tentation suicidaire que nous connaissons actuellement à l’échelle de l’espèce. Ce n’est donc pas de nous, pauvres individus, que viendront la sixième république et la Révolution, mais de la roue de l’Histoire, qui nous aura conduits de la caverne à l’ordinateur, du crépuscule à l’espace, et dont se poursuit le mouvement qui nous mènera désormais vers ce que nous ignorons encore.
Battons-nous malgré tout pour tout changement à notre portée, aidons la roue de notre destin à sortir de l’ornière où elle s’enfonce présentement.